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Arcabas, Polyptique "Passion-Résurrection", 2e volet, 2003,
Montaigu (Scherpenheuvel), Belgique.
Image trouvée sur le site de l'Abbaye Notre-Dame de Leffe,
connue aussi pour sa bière, mmm... |
D’abord, un mot d’explication. C’est sous forme d’un récit
complètement imaginaire que la prédication a fait écho à l’histoire biblique ce
dimanche. Il y a deux raisons pour ce choix inhabituel.
Premièrement, en tant que pasteur stagiaire, je suis constamment
encouragé à faire des essais à la recherche de mon style et de mes limites.
J’ai l’immense bonheur d’être, cette année, sous la « couverture » de
mon maître de stage, pasteur René Perret, auprès duquel je ne cesse d’apprendre.
Je suis heureux également de me trouver dans une paroisse dont l’atmosphère est
bienveillante et fraternelle. C’est avec confiance que j’ai osé préparer une
prédication sous une forme théâtrale que je n’avais jamais pensé être capable
de faire. Mais soyez rassurés, mes prédications ne seront pas toujours aussi
fantaisistes.
La deuxième raison concerne le contenu du message. En effet,
je voulais nous inviter à réfléchir sur ce qu’on est en train de vivre,
c’est-à-dire partager la foi chrétienne dans le Val-de-Travers, loin du pays de
Jésus-Christ, en présence d’un pasteur stagiaire venu de Corée, également loin
du pays de Jésus-Christ.
Soit dit en passant. Mon souci principal, en tant que
prédicateur, reste toujours le même : prier pour recevoir la parole à
partager, penser à quoi dire plutôt qu’à comment dire, chercher la manière la
plus appropriée possible au message qui m’a touché.
Mc 14,1-9 (trad. BFC)
(Mot d’introduction) Nous
sommes quelques jours avant la fête de la Pâque. Le temps de la mort et de la
résurrection de Jésus est imminent. Jésus et ses disciples arrivent à Jérusalem
en parcourant le pays. Juste avant l’arrivée, ils avaient traversé Jéricho, une
ville située d’environ 25 kilomètres de l’est de la capitale. Un événement
important s’y était produit : selon Matthieu et Marc, une guérison d’un ou
deux aveugles avait eu lieu, tandis que, selon Luc, il y avait eu une rencontre
extraordinaire entre Jésus et Zachée. Jésus est maintenant à Béthanie, un bourg
tout près de Jérusalem, à moins de 3 kilomètres à l’est.
1On
était à deux jours de la fête de la Pâque et des pains sans levain. Les chefs
des prêtres et les maîtres de la loi cherchaient un moyen d’arrêter Jésus en
cachette et de le mettre à mort. 2Ils se disaient en
effet : « Nous ne pouvons pas faire cela pendant la fête, sinon le
peuple risquerait de se soulever. »
3Jésus était à Béthanie, dans la maison de
Simon le lépreux ; pendant qu’il était à table, une femme entra avec un
flacon d’albâtre plein d’un parfum très cher, fait de nard pur. Elle brisa le
flacon et versa le parfum sur la tête de Jésus. 4Certains de
ceux qui étaient là furent indignés et se dirent entre eux : « A quoi
bon avoir ainsi gaspillé ce parfum ? 5On aurait pu le
vendre plus de trois cents pièces d’argent pour les donner aux pauvres ! »
Et ils critiquaient sévèrement cette femme. 6Mais Jésus
dit : « Laissez-la tranquille. Pourquoi lui faites-vous de la
peine ? Ce qu’elle a accompli pour moi est beau. 7Car
vous aurez toujours des pauvres avec vous, et toutes les fois que vous le voudrez,
vous pourrez leur faire du bien ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours
avec vous. 8Elle a fait ce qu’elle a pu : elle a
d’avance mis du parfum sur mon corps afin de le préparer pour le tombeau. 9Je
vous le déclare, c’est la vérité : partout où l’on annoncera la Bonne
Nouvelle, dans le monde entier, on racontera ce que cette femme a fait et l’on
se souviendra d’elle. »
(J’entre, tranquillement, en costume traditionnel coréen,
chapeau à la tête, sac à dos – un carnet et un crayon dedans, appareil photo
autour du cou. En prenant l’assemblée comme ses compagnons de voyage)
Quelle journée, encore, n’est-ce pas ! Vous le
trouvez comment, vous, ce voyage en Israël ? Moi, franchement, ce n’est
pas ce que j’attendais. Le programme prévoyait de nous faire visiter tous les
lieux principaux du pays, mais je crois que notre guide-interprète s’en fiche
complètement. Et d’ailleurs, à mon avis, il ne va pas bien.
Je vous l’ai déjà dit ; il est vraiment bizarre depuis
ce qui s’est passé il y a une semaine à Jéricho. Oui, depuis qu’il a vu changer
complètement ce petit homme. Comment il s’appelait déjà ? Ah, oui, Zachée,
le chef des collecteurs d’impôts de la ville. Depuis que ce petit homme a donné
la moitié de ses biens aux pauvres et réparé ses torts en remboursant quatre
fois autant, le guide-interprète non plus, il n’est plus la même personne.
Et nous alors : normalement, en ce moment, nous devrions
être en train de faire la fête à Jérusalem. La ville est en pleine préparation
des cérémonies de la Pâque. Mais au lieu de nous faire visiter la capitale où les événements de l’année se passent,
qu’est-ce qu’il fait ? Il suit un jeune prophète et sa bande de marcheurs.
Et nous voilà dans une banlieue sans intérêt, où rien ne se passe ! Mais
rien du tout ! Vous vous rappelez comment le guide-interprète nous a fait
marcher ce matin ? Comment il nous a fait perdre une journée de voyage
dans un endroit aussi paumé ?
Non, allez-y sans moi. Je suis un peu trop fatigué pour
boire. J’aimerais plutôt passer une soirée tranquille pour écrire une lettre à
ma famille en Corée. Bonne soirée et à demain !
(pose les affaires, prend cahier et crayon et commence à
écrire)
Béthanie, 14e
jour après la 2e pleine lune de l’année
Chérie,
Comment vas-tu ? Et les enfants ? Moi, je vais
bien. Par contre, mon voyage prend une drôle d’allure depuis l’histoire à
Jéricho que je t’ai racontée dans ma précédente lettre.
Je suis actuellement à Béthanie, tout près de Jérusalem.
Normalement c’était prévu comme un village d’étape, mais notre guide-interprète
ne cesse de bouleverser le programme ces jours-ci. A vrai dire, il ne
s’intéresse plus à son travail de guide-interprète. Il ne pense qu’à un jeune
prophète, prénommé Jésus, qu’il croit l’origine de l’événement à Jéricho. Il ne
parle plus que de lui. Il fait tout pour le suivre, et moi, je n’ai pas d’autre
choix que de le suivre comme les autres du groupe de voyage ! Et oui,
qu’est-ce que je peux faire sans le guide-interprète ? La langue qu’on
parle ici, pour moi, c’est de l’hébreu !
Ce matin, je croyais que nous irions enfin visiter Jérusalem. Mais non. Nous sommes restés à Béthanie. A
peine arrivé à l’auberge où nous logeons, le guide-interprète nous a dit qu’il
allait changer le programme de la journée – encore une fois – et que nous
allions chez un lépreux du village. Mais ça va pas, non ? Je ne suis quand
même pas venu en Israël pour voir des malades que je peux voir aussi chez
nous !
Mais nous avons été finalement d’accord. Selon le
guide-interprète, le jeune prophète, dont il est fou actuellement, est aussi un
guérisseur hors du commun ; donc, s’il se rend chez un lépreux, selon lui,
c’est évident : c’est pour le guérir. Le guide-interprète n’arrête pas de
nous dire que ce jeune prophète est un homme exceptionnel, avec des forces
incroyables, quelqu’un qui va peut-être libérer son peuple de l’emprise des
Romains – les Romains ici, sont un peu comme les Chinois chez nous – et
rétablir un royaume juste sur la terre.
Donc, j’ai passé toute la journée chez un lépreux. Appareil
photo à la main, j’attendais le
moment de la guérison miraculeuse… qui n’a jamais eu lieu. Mais un tout autre
événement s’est produit.
Au milieu du repas, je vois une femme se rapprocher
discrètement du jeune prophète à table. Elle fait un geste, et la maison est sens
dessus dessous ! Je demande au guide-interprète ce qui se passe. Il me dit
que la femme avait versé un flacon de parfum précieux sur la tête du prophète.
Un parfum d’une valeur – écoute bien – d’environ un an de salaire !
Chérie, je te rassure ; apparemment, il n’y avait pas que moi qui pensais
que ce gaspillage était insensé. Le guide-interprète était tout gêné de nous
traduire les cris d’indignation des gens. La dureté des propos à l’égard de
cette femme produisait un étrange contraste avec l’odeur si agréable du parfum
répandue dans toute la maison.
Bouche bée, le guide-interprète tente de nous expliquer, ou
plutôt il tente de comprendre. D’après la tradition de ce pays, il y aurait
deux possibilités : soit la femme prend le jeune prophète pour un roi,
soit elle le prend pour son amoureux.
Mais le vrai problème n’était pas là pour le
guide-interprète. Ce qui l’a « achevé », c’est la phrase que le jeune
prophète aurait prononcée comme son
interprétation du geste de la femme : il va mourir ! le parfum versé
serait la préparation de son corps embaumé pour le tombeau ! Alors là, le
guide-interprète était fou furieux.
« Quoi ? Il
va à Jérusalem pour mourir ? Ce Jésus, il nous crève le cœur ! Et
nous ? Et moi ? Qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va
devenir ? Je commençais à croire que peut-être c’était lui, le Messie que
nous attendions. Mais un Messie qui annonce sa mort avant même de combattre. On
aura tout vu ! »
Chérie, je ne comprends pas ce qui se passe ici. Mais j’ai
envie de te raconter cette histoire car cela me touche. Le geste de la femme,
aussi bien insensé que beau, m’émeut. Ce jeune prophète, que le guide-interprète
adore et déteste tour à tour, il m’intrigue.
Ah, il aurait aussi dit que « partout où l’on annoncera
la Bonne Nouvelle, dans le monde entier, on racontera ce que cette femme a
fait ». Je ne sais pas ce que c’est cette « Bonne Nouvelle »,
mais je suis sûr que l’histoire de la femme sera racontée au moins en Corée,
puisque je te la raconte.
Ma chérie, tu me manques. Embrasse les enfants. Salue les
amis. Je t’aime.
Je ramasse mes affaires et sors.
(Phrase musical)
Je rentre en courant, feuillette à la main.
Bonjour ! Excusez-moi, je voudrais envoyer un
télégramme à ma femme en Corée. C’est urgent. Voici le texte.
Jésus mort (stop) cadavre disparu (stop) guide-interprète
fou (stop) disciples de Jésus aussi (stop) auraient vu Jésus vivant (stop)
raconte aux enfants.
(voix off, Dt 6,4.7) Écoute, peuple d’Israël : Le Seigneur notre Dieu est
le seul Seigneur. […] Tu enseigneras [ses paroles] à tes enfants ; tu en
parleras quand tu seras assis chez toi ou quand tu marcheras le long d’une
route, quand tu te coucheras ou quand tu te lèveras.
Raconte aux autres.
(voix off, Ac 1,8b) Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la
Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde.
Raconte.